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“Le paradoxe du poisson rouge” de Hesna Cailliau

Hesna est diplômée de science Pô et de sociologie. Auteure de livres portant sur l’interculturalité, son livre “le paradoxe du poisson rouge” est sans conteste l’un de mes coups de coeur de l’année  ! Dans ce livre, Hesna met en avant les résonances et les dissonances de notre culture avec celle de la culture chinoise et appuie son discours sur des références historiques, bibliques et linguistiques solides et facilement compréhensibles par tout un chacun. L’idée défendue : les sagesses taoïstes et bouddhistes peuvent nous inspirer au quotidien. Ce livre est une douce invitation à “descendre dans la grotte de notre coeur” et à découvrir la sagesse chinoise.

Le symbole de la carpe koï

Alors que nous sommes les héritiers des traditions gréco-bibliques, les Chinois sont les héritiers de 3 traditions millénaires : le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme. Celles-ci ont développé une forme de pensée différente de la nôtre, non pas linéaire et rationnelle mais circulaire et en réseau. La carpe Koï, poisson emblématique de l’empire du Milieu et de ce livre, incarne la souplesse, la fluidité, l’adaptabilité, le calme, la sérénité, l’harmonie, l’ouverture à l’incertitude et à l’ici et maintenant. La sagesse chinoise invite à rechercher la profondeur plutôt que la perfection et, en cela, la carpe koï montre l’exemple : c’est dans les fonds sablonneux qu’elle trouve refuge pour se reposer et se ressourcer. Le message sous-jacent est celui d’une incitation à nous détacher des conventions sociales afin de répondre plutôt à nos exigences intérieures. Pour la sagesse taoïste, la destinée de l’homme consiste à accéder à sa nature propre,  elle n’est pas à conquérir puisqu’elle émerge spontanément lorsqu’il se libère de ses conditionnements. Avec ses grands yeux et sa grande bouche, la carpe koï incarne l’ouverture d’esprit et l’observation pour mieux absorber.

Le rapport au temps

Le Chinois est totalement ce qu’il est dans ce qu’il fait, ancré dans le présent, attentif à tout ce qui se passe autour de lui. Le futur lointain ne l’intéresse pas et le passé n’a de valeur que s’il éclaire le présent. Vivre au présent permet de garder l’espérance, laquelle est différente de l’espoir : la première se conjugue au présent et vient de l’intérieur, l’autre se conjugue au futur et dépend de conditions extérieures. Notre conception occidentale du temps est différente : nous prônons le multi-tâches, chassons les temps inutiles et associons l’efficacité à la vitesse. Dans la culture chinoise, le temps “perdu” peut être du temps gagné en intensité et en qualité de vie, les plages de détente et de silence permettant d’ailleurs de se ressourcer et de méditer. Aussi, si notre conception de l’histoire s’articule autour de grandes dates faisant rupture, en Chine il s’agit plutôt d’un processus continu de transformations silencieuses, accompagnées de signes annonciateurs. Cette importance accordée aux signes se vérifie jusque dans la médecine chinoise qui a tendance à privilégier la thérapie préventive plutôt que curative. D’ailleurs, selon la sagesse taoïste, “qui voit l’invisible est capable de l’impossible”. Aussi, alors que notre société est plutôt fondée sur la communication verbale, les chinois considèrent que le visage, les gestes, le ton de la voie d’une personne recèlent bien plus de vérités que ses propos.

L’importance du changement et de l’impermanence

La conception chinoise du yin et du yang voit le monde comme une réalité en transformation perpétuelle, la réalité comme un processus dynamique et non une entité stable. Ce que l’Occident appelle « le monde réel », la Chine l’appelle « le monde flottant ». La chine accorde beaucoup d’importance à ce qu’on pourrait appeler “l’alternance”. Leur langue ne permet pas d’imaginer des termes désignant des absolus. Depuis Platon et Aristote, nous croyons en l’existence de vérités éternelles, accessibles par la raison et valables pour tous les peuples, tous les temps et tous les lieux. Pour la sagesse chinoise, il n’y a pas de vérités que pour des peuples, des temps et des espaces définis. En ne s’attachant à aucun modèle, à aucun schéma préétabli, nous restons ouverts à tous les possibles. Bien sûr, cela ne signifie pas ne pas avoir d’idées mais plutôt d’éviter les affirmations catégoriques et les obstinations puisque la réalité est en transformation continue et  l’être humain appelé à se renouveler sans cesse. La fixation sur un but, pour la sagesse chinoise, est source de tension. Ainsi, les chinois ont tendance à privilégier la vision à la visée puisqu’elle s’inscrit dans un champ beaucoup plus large dans la durée et s’appuie sur le potentiel de l’ici et maintenant. L’opportunisme est d’ailleurs une vertue en chine car elle consiste à répondre à l’exigence du moment.

Vivre en harmonie avec les autres et la nature

Pour les chinois, le bonheur est dans le lien. Ce qui nous rend vraiment heureux serait donc la qualité des relations que nous entretenons avec les autres. L’idée occidentale selon laquelle la nature fonctionnerait  selon la loi du plus fort trouve son origine dans un désir de domination. L’homme moderne occidental ne s’est-il malheureusement pas coupé du vivant ? Dans la sagesse chinoise, l’homme est un vivant parmi les vivants, “serviteur et locataire de la nature” et non pas “maître et possesseur de l’univers”. Bouddha a d’ailleurs déclaré “l’égalité entre tous les êtres, animés comme inanimés, tous détiennent le germe de la bouddhéité” : minéraux, végétaux, animaux et humains.”

Exclusion vs inclusion

La pensée occidentale est plutôt fondée sur l’exclusion, c’est à dire l’un ou l’autre. la pensée chinoise est fondée sur l’inclusion, “et l’un et l’autre”. Rien ne s’oppose, tout se superpose. D’ailleurs, les religions chinoises ne sont pas des philosophies, elles ne proposent pas une conception exclusive, spécifique et définie du monde mais une voie d’éveil à la réalité et une méthode pour y parvenir.  Par exemple, il n’y a pas d’opposition entre les religions taoïste et bouddhiste : la première a intégré nombre des conceptions de la seconde, notamment la notion de karma, certaines techniques de respiration et de méditation. Contrairement aux religions monothéistes, il n’y a jamais eu en chine de guerre sainte ou de croisade. 

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